Idylle dans l’An
En Mésopotamie, il est une déesse qui sait se faire respecter : Ishtar. La déesse de l’amour et de la guerre cumule les histoires sentimentales, mais il en est une bien plus forte que les autres. Découvrons ensemble ce récit d’amour divin !
Présentation des personnages
Dans cet article et le suivant, nous utiliserons les noms akkadiens d’Ishtar et de Tammuz car leur utilisation est plus répandue, notamment du fait que la Bible évoque un Tammuz. Cependant, les autres noms n’ont pas nécessairement d’équivalence akkadienne et seront donc laissés en sumérien lorsqu’il sera obligatoire de les citer.

Ishtar
Ishtar (akkadien) ou Inanna (sumérien) est l’une des déesses les plus importantes du panthéon mésopotamien. Elle est la grande déesse génératrice de toutes choses, la personnification des forces reproductrices de la nature. Ses attributs principaux sont l’amour (notamment charnel) et la guerre. De plus, elle est la patronne des filles de joies à Sumer comme à Akkad, on l’appelle parfois « celle qui accepte tout ». Selon la tradition d’Uruk, elle est la fille du dieu du ciel, Anu, mais selon une autre tradition, elle serait la fille de Nanna (Sîn), dieu de la Lune. Parfois, elle est aussi décrite comme la fille d’Enlil ou celle d’Enki/Ea. Dans tous les cas, elle a pour sœur la reine de l’Enfer mésopotamien, Ereshkigal et pour frère le dieu soleil Utu (Shamash). Ishtar est régulièrement liée à des histoires amoureuses ou sexuelles qui finissent mal et ses accès de colère ne laissent jamais les mortels indifférents (Enkidu peut en témoigner, voir l’article sur l’Épopée de Gilgamesh). Son importance dans la religion de Mésopotamie est capitale – on peut même dire qu’elle est la déesse la plus importante et celle qui a traversé le mieux les siècles au travers de plusieurs identités, allant d’Astarté à Vénus. Ishtar est symbolisée par le lion, élégant et fort, noble et majestueux. Elle est aussi ambivalente que son animal lié : belle mais dangereuse.

Tammuz
Tammuz (akkadien) se nomme Dumuzi à Sumer. Dans le panthéon sumérien, Dumuzi est l’une des plus anciennes figures, mais pas l’une des plus importantes. Son nom est composé d’une expression sumérienne qui signifie « véritable fils (ou « fils légitime ») de l’eau profonde ». En effet, il est le fils du dieu Enki (Sumérien) / Ea (Akkadien, Babylonien), qui règne sur l’Apsû, la nappe souterraine d’eau douce. Tammuz est présenté comme un dieu de l’abondance, dans le sens de l’abondance de la végétation et de la nature. De plus, il est un dieu agraire, en lien avec les récoltes et les cultures. Il est d’ailleurs berger, ce qui souligne son appartenance au monde de l’agriculture et du bétail. Tammuz est également présenté comme le roi de Sumer, ayant reçu ses fonctions directement de ses homologues les dieux. Lui et sa sœur Geshtinanna sont les enfants de la déesse Duttur, patronne des troupeaux et des chèvres. Sa sœur, elle, est mariée au dieu Ningishzida, une divinité souterraine liée à la végétation. Tous sont des divinités agraires qui possèdent des pouvoirs et prérogatives sur la vie animale et végétale. Tammuz est autant symbolisé par le mouton que la chèvre dans les mythes : il est berger et s’occupe bien de son troupeau ainsi que de sa maison, mais d’un autre côté il est capricieux et frivole.

Sources
On appelle Cycle de Dumuzi les récits transmis par la tradition orale concernant Tammuz et les histoires qui l’entourent tandis que les premiers documents écrits en sumérien sur le sujet dateraient du IIIe millénaire av J.-C. Cependant d’autres textes en akkadiens ont été retrouvés et ceci jusqu’à l’époque néo-babylonienne (XIe-VIe siècle av J.-C.), notamment des documents sur la mort du dieu et quelques informations sur La Descente d’Ishtar aux Enfers. Ce dernier texte précisément daterait environ du XVIIe siècle av J.-C. Ces sources peuvent être divisées en plusieurs catégories : poésie pastorale ou amoureuse utilisée lors des mariages ; récits mythologiques pures ; chants heureux ou tristes sur le sort de Tammuz ; lamentations, donc poèmes que l’on chante lors des enterrements.
Évidemment, les récits qui vous sont présentés ici sont le résultat d’une synthèse de sources qui nécessiterait des éclaircissements, mais pour la clarté du mythe, nous nous baserons sur les traductions réalisées par l’historien Thorkild Jacobsen dans son ouvrage The Harps that Once : Sumerian poetry in Translation qui contient tout autant les récits de la vie de couple de Tammuz et Ishtar que le récit du voyage dans l’au-delà par la déesse.
Les Mythes
Une nouvelle maison
Tammuz et Ishtar ont un mariage arrangé par leurs parents alors qu’ils ne se sont jamais rencontrés. C’est un comble pour cette séductrice qui choisit elle-même ses cibles. Cette fois, elle n’a pas le choix, son père Anu en a décidé ainsi : elle épousera le berger Tammuz. De son côté, le dieu berger réunit ses amis afin de construire une maison pour son couple près de celle des parents de la jeune déesse. Ils se mettent au travail et font un boucan terrible, si bien qu’Ishtar entend tout ceci et ne comprend pas. Elle pense qu’il s’agit d’un courtisan venu pour sa main et n’apprécie pas du tout. Tammuz est amusé de la situation et la laisse dans l’ignorance. Il décide de construire la maison – ou plutôt le palais – avec des pierres précieuses. Toute cette magnificence attire l’œil de sa promise qui sort finalement de chez elle. Elle vient demander pour qui cet édifice a été construit et Tammuz lui révèle la vérité : ce sera leur nid d’amour à tous les deux. Ishtar découvre donc sa future maison en même temps que son fiancé et est ravie car elle le trouve séduisant et habile.
Le message de la sœur
De toute évidence, la communication n’est pas leur fort car les deux fiancés s’aiment mais ne se le sont pas encore avoués. Ishtar invite sa future belle-sœur à venir lui rendre visite. Cette dernière, Geshtinanna, accepte et la rencontre. La fiancée avoue alors à la sœur tout l’amour qu’elle porte à Tammuz. Geshtinanna s’empresse alors d’aller le dire à Tammuz afin qu’il soit rassuré. Celui-ci est heureux de cette nouvelle et rejoint rapidement Ishtar pour lui avouer ses sentiments à son tour, afin qu’elle ne souffre plus des peines de l’amour.
Les ruses des femmes
Le jour suivant la rencontre des fiancés – et donc leur coup de foudre, Ishtar attend impatiemment que Tammuz rentre du travail à la bergerie. Lorsqu’il rentre, il est fatigué et aurait besoin de se détendre. Il fait des avances à Ishtar, mais ce n’est pas ce qu’elle veut car elle préfère attendre. Elle ne veut pas le repousser et prétend donc qu’elle doit rentrer tôt chez ses parents. Il lui répond qu’il peut lui fournir une excuse pour rester plus longtemps. Ishtar hésite à rester car Tammuz insiste pour faire l’amour. Elle refuse catégoriquement car elle est une fille décente et non une prostituée (ce qui est assez ironique car elle en est la patronne). Finalement, elle le contraint à faire une requête dans les règles : demander « sa main » à sa mère. Ishtar est sûre qu’elle dira oui, mais elle préfère attendre d’avoir l’accord de ses parents avant toute chose.
Les draps du mariage
Ishtar est contrariée car son frère lui annonce qu’il a promis à un homme de lui donner sa main. Shamash (le dieu soleil, Utu en sumérien), le frère d’Ishtar, avait fait la promesse de marier sa sœur à un dieu : Ama-Ushumgal-Anna (qui en réalité une épithète de Tammuz). Evidemment, Ishtar ne fait pas le lien et a peur que son frère veuille vraiment la marier à un inconnu. Shamash lui demande alors de changer les draps de son lit pour y mettre des draps de noces. Ishtar accepte, mais avant elle veut savoir qui il a choisi pour elle et commence à se répandre en objections. Le quiproquo se termine lorsque Shamash rassure sa sœur en lui disant qu’il a fait la promesse de donner sa main à Tammuz et à personne d’autre. Ishtar en est ravie.

« Laisse-le venir ! Laisse-le venir ! »
Shamash rend visite à Ishtar et tombe sur sa sœur en train de se pomponner. Il demande pour quelle raison elle se fait belle et Ishtar répond qu’elle se prépare dans l’optique de recevoir son futur mari. Shamash comprend qu’ils sont prêts à passer à l’étape suivante et amène Tammuz à sa promise. Ils s’enferment tous les deux dans la chambre nuptiale afin qu’ils puissent concevoir un enfant.
Le mariage de Tammuz et d’Ishtar
Ishtar est réunie avec ses amies proches qui la célèbrent dans son rôle de déesse de la guerre. Cette petite fête l’amène à poser une date de mariage avec Tammuz et à demander des présents pour l’occasion. Le rituel du mariage sacré peut enfin commencer. Tammuz et les invités arrivent sur les lieux mais doivent attendre qu’Ishtar soit prête. Après s’être apprêtée, la future épouse doit écouter sa mère lui expliquer ce que c’est qu’être femme et mère. Finalement, elle ouvre la porte à Tammuz, ce qui signifie l’acte formel de conclusion du mariage. Il y a ensuite un banquet qui se termine par un autre rituel : Ishtar et Tammuz quittent leurs parents et s’installent ensemble. Rapidement, Tammuz pense qu’il aimerait avoir un fils et en parle à sa bien-aimée. Ishtar, elle, est effrayée rien qu’à l’idée d’avoir un enfant car sa mère ne lui a pas expliqué l’étape précédant le fait d’être mère (la conception et l’accouchement). Alors Tammuz décide de demander de l’aide à son dieu familial. Ce dernier invite le mari à rassurer son épouse : c’est ce qu’il fait et cela fonctionne parfaitement.
Le mythe du mariage sacré entre Tammuz et Ishtar est la base du rite du mariage sacré en Mésopotamie. En effet, l’ancienne religion considère la grande déesse comme une mystérieuse puissance vitale qui engendre et régénère de façon cyclique. Logiquement, ce mythe s’est traduit par un rite concret : le roi épouse rituellement les prostituées sacrées d’Ishtar. Ainsi, on reproduit le mariage entre Ishtar et Tammuz. Plus encore : ce rite permet de donner au roi la puissance féminine de régénération cyclique de la terre ainsi que de d’augmentation de la fécondité globale.
Infidélité
Cette histoire se passe vraisemblablement quelques temps après le mariage. Ishtar apprend de source sûre que Tammuz aurait couché avec une esclave. Elle entre alors dans une colère noire. Elle trouve l’esclave en question et la punie par la mort. Elle ne s’arrête pas là car elle convie toute la ville à son exécution. Une fois vengée, elle souffre toujours de la trahison de Tammuz. Cependant, au fil du temps Ishtar s’en remet et reprend le cours de son existence. Elle s’apprête alors à rejoindre Tammuz à sa bergerie. La fin de l’histoire est floue et ne nous laisse que deux options : soit elle y va pour se venger de son mari infidèle, soit elle y va pour apprendre qu’il a été tué. Il faut cependant mettre ce récit en lien avec la descente aux enfers d’Ishtar qui explique l’une des raisons de la mort de Tammuz.
La suite dans l’article suivant !
Bibliographie
Celle-ci vaut également pour l’article suivant.
- Bottéro Jean, L’Orient Ancien et nous : l’écriture, la raison, les dieux, Paris, Albin Michel, 1996.
- Frazer James George, Le Rameau d’or, tome 2 : Le dieu qui meurt, Paris, R. Laffont, 1983.
- George W. Gilmore, « Tammuz-Adonis », dans Herzog Johann Jacob (dir.), Schaff Philip (dir.), The New Schaff-Herzog Encyclopedia of Religious Knowledge, Grand Rapids, Baker Book House,1954, pp.264-271.
- Jacobsen Thorkild (traduction), The Harps that Once : Sumerian poetry in Translation, Yale University Press, 1997.
- Loucas Ioannis, « La déesse de la prospérité dans les mythes mésopotamien et égéen de la descente aux enfers », dans Revue de l’histoire des religions, tome 205, n°3, 1988.
- Peters John P., « The Worship of Tammuz », dans Journal of Biblical Literature, vol. 36, n°1, 1917.

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