Les magiciennes de la nuit
Les sorcières sont des êtres magiques fascinants qui font trembler les mortels depuis l’Antiquité. Avec leurs pouvoirs, elles passent pour des femmes (et parfois des hommes) malfaisantes dont le but est de nuire aux sans-pouvoirs. Explorons donc ce monde de balais volants, potions et rituels démoniaques !
Qu’est-ce qu’une sorcière ? Entre histoire et légende
Du latin sors (« sort » et « destin »), les sorcières (ou sorciers) sont des personnes démoniaques possédant les secrets de la magie. En Occident, elles sont considérées comme les femmes du démon ou du diable. Elles incarnent la nature dans son aspect occulte, mais aussi l’étrangeté qui se cache derrière les apparences. Les capacités de la sorcière sont vastes, allant du talent de lancer des sortilèges à celui de se métamorphoser à volonté pour se déguiser. Techniquement, ce sont des magiciennes dans le sens qu’elles sont liées au surnaturel, à la différence qu’elles sont clairement liées aux ténèbres, au domaine diabolique. Il est globalement admis qu’elles peuvent aussi voler à l’aide d’un balai.

Dès l’antiquité, on considère qu’il existe des sorcières en Thessalie. Elles puiseraient leur énergie magique dans la Lune qu’elles attirent près de la Terre pour augmenter leur pouvoir. Elle possède déjà des outils que l’on retrouve aujourd’hui dans nos légendes : une boule de cristal, un chaudron et un miroir magique. Déjà, ses pouvoirs sont étoffés : elle peut voir les choses que les humains ne peuvent voir grâce à sa « seconde vue », peut entrer en relation avec les morts, prédire l’avenir et revenir dans le temps. Elle fait donc office autant de diseuse de bonne-aventure, que de prêtresse, de guérisseuse et de nécromancienne.
Dans l’imaginaire populaire, la sorcière est laide, vieille et coiffée d’un chapeau pointu. Avec ses traits difformes et son nez crochu, elle fait peur à voir et se prépare toujours pour un mauvais coup, généralement armée d’un grimoire pour lancer une incantation. Il faut savoir que cette image n’est pas partagée par l’ensemble des cultures dans laquelle la sorcière apparaît. De prime abord, lorsque l’on pense aux Grecs, les belles Circé et Médée n’ont rien de la vieille et hideuse femme qui se cache sous son chapeau. Parmi les sorcières du folklore japonais, la Yama-Uba est dépeinte comme assez hideuse alors qu’une autre créature pouvant utiliser la magie, la Yuki-Onna, est d’une beauté glaciale. En Indonésie, c’est Rangda qui représente la sorcière maléfique. Elle est certes laide, mais cette fois son aspect est plus proche du monstre que d’une vieille femme.
Alors pourquoi la sorcière est-elle toujours considérée comme malfaisante ? En réalité, c’est son usage de la magie qui effraie. Déjà en Mésopotamie, la magie est divisée en deux parties : celle faisant partie des cultes (magie blanche) et celle pratiquée par les sorciers, servant à faire le mal (magie noire). La magie et ses effets ont, dans le monde grec et à Rome, été considérés au mieux comme de la charlatanerie, au pire comme un acte démoniaque. Elle était « utilisée » pour lire dans le destin ou pour entrer en transe et comprendre les secrets de la vie après la mort. Toutes sortes d’amulettes et de maléfices furent inventés pour se protéger ou maudire ses ennemis. La magie n’a donc rien à voir avec la piété religieuse (la foi) et ceci dans quasiment toutes les mythologies mondiales de même que dans les religions monothéistes actuelles.

Il est évident que la magie ou les sorcières ne sont que fiction. Toutefois, la chasse aux sorcières a véritablement existé : les institutions religieuses chrétiennes, considérant que cette pratique ésotérique existe vraiment (en se basant sur le fait que ce n’est pas beaucoup plus incroyable que de croire en une force surnaturelle suprême ayant créé le monde) mais qu’elle ne provient pas des bienfaits de Dieu, ils ont associé la magie à Satan. Elles sont positionnées en contradiction avec la pureté de la Vierge Marie, « idéal » de la femme chrétienne. Rapidement, ce lien avec le diable devient très puissant et on considère que la sorcière est l’épouse ou l’amante de Lucifer. On leur donne pour réputation de répandre les épidémies, la famine et la mort par leur sortilèges.
Cette chasse aux sorcières a eu lieu entre 1450 et 1700, une époque où l’Église possède un immense pouvoir sur les sociétés occidentales. Concrètement, la chasse concrète a plus ou moins eu lieu entre 1560 et 1700 (comme à Salem en 1692). On estime à près de 100 000 les victimes de cette purge ! Les femmes sont les cibles de cette lutte pour plusieurs raisons : premièrement, cette époque est connue pour sa misogynie spectaculaire. Deuxièmement, selon la religion chrétienne, les femmes sont souillées de naissance par le péché originel. C’est-à-dire qu’elles payent la conduite d’Ève cueillant le fruit défendu dans le récit de la Genèse. L’imagerie du balai volant est sans doute une stigmate de ce sexisme poussé à l’extrême.
La chasse vise en particulier les femmes étranges, majoritairement les célibataires, qui pratiqueraient des rites et dont la vie quotidienne serait mystérieuse pour le reste de la population locale. On cherche sur elles les preuves de leur nature : la stigma diaboli. La technique la plus répandue est la torture qui vise à les faire avouer. Au bout d’un moment, ces innocentes femmes, à bout, avouaient être des sorcières pour ne plus avoir à souffrir. Certains penseurs mettront fin à ces affabulations en expliquant qu’il ne s’agit que de superstitions irrationnelles. Finalement, la sorcière deviendra une véritable légende de contes pendant la période romantique.
Les sorcières célèbres dans les mythes et légendes…
Il existe bon nombre de mythes et de légendes évoquant la sorcellerie, mais en voici une liste non-exhaustive.
Isis
Isis est une déesse égyptienne, sœur et épouse d’Osiris et mère d’Horus. Contrairement au stéréotype de la sorcière occidentale, Isis est de toute beauté. Elle se sert de la magie pour infliger des malédictions, mais peut également faire le bien. Dans un mythe, elle soigne un enfant piqué par un scorpion en récitant une formule magique. Elle est également métamorphe, puisqu’elle peut faire pousser des ailes sur ses bras. Isis était déjà une magicienne à la base, mais c’est en piégeant Râ qu’elle a obtenu des pouvoirs phénoménaux.
Hécate
Hécate est une déesse grecque chthonienne associée à la Lune et à la mort. Si elle a pour fonction de relier les Enfers, la terre et le ciel, elle est aussi la déesse des ombres mortelles et de la magie noire. Hécate est la plus grande magicienne/sorcière et la maîtresse de cet art infernal. Elle est également polymorphe, pouvant arborer l’aspect d’une chimère à trois têtes : lion, chien et cheval avec un corps de femme. Hécate est liée à tous le domaine de l’ésotérisme et patronne les sorciers et sorcières.
Circé

Circé est un personnage de la mythologie grecque qui apparaît dans l’Odyssée d’Homère. Vivant dans le royaume d’Aea, elle est décrite comme la plus belle et dangereuse des magiciennes. Ulysse la rencontra au cours de son voyage de retour à Ithaque : il envoya des émissaires rencontrer les habitants de cette île, mais un seul revint pour lui expliquer que tous les autres avaient été changés en pourceaux par une sorcière. Ulysse se rendit au palais de Circé pour sauver ses camarades et, aidé en chemin par Hermès qui lui confia une herbe magique, il rencontra la magicienne. Il ingéra l’herbe et ainsi aucune formule magique ni potion de Circé ne pouvait rien lui faire. Impressionnée par cet homme hors du commun, la magicienne tomba amoureuse de lui. Elle libéra les hommes transformés en cochons et Ulysse resta une année entière avec elle à profiter des joies du palais et des plaisirs de la vie…
Médée
Médée est aussi un personnage provenant d’un mythe grec. Elle est la princesse de Colchide, apparaissant dans la légende de la conquête de la Toison d’Or, contant les aventures de Jason et des Argonautes. Alors que Jason et son équipage voguait vers la Colchide pour y récupérer la toison d’or, Héra convint avec Aphrodite qu’Eros tirerait une flèche d’amour dans le cœur de Médée afin qu’elle s’éprenne de Jason et ainsi qu’elle l’aide. En effet, la jeune femme était douée de magie et pourrait donner un coup de main au héros. C’est ce qu’elle fit en donnant à Jason un onguent magique le rendant invulnérable lorsqu’il était appliqué sur la peau. La magicienne s’échappa même de son royaume avec son nouvel amour en tuant son frère au passage ! Sur le voyage du retour, Médée pria les dieux infernaux de leur accorder leur protection et cela fonctionna. Cependant, à leur retour à Corinthe, Jason l’abandonna pour une autre femme. Elle entra dans une rage folle et tua la nouvelle femme de Jason en lui faisant porter une robe ensorcelée. Le mythe se termine avec Médée tuant ses propres enfants et s’enfuyant de Corinthe en femme blessée et en sorcière convaincue.
Les stryges
Les stryges sont des démons féminins, hybrides entre une femme et un oiseau. Elles font partie du bestiaire de la mythologie romaine, selon une ancienne croyance qui n’est pas grecque d’origine. Il est difficile de les mettre dans une case précise : entre sorcières et vampires, elles visent avant tout les enfants qu’elles kidnappent ou tuent en leur suçant le sang. La stryge existe également chez les Saxons et chez les Arabes (elle est identifiée à la goule).
Morgane

La fée Morgane est un personnage du cycle arthurien, un thème fort de la Matière de Bretagne. Elle est la demi-sœur du roi Arthur et est une magicienne qui a tout appris de Merlin. Son rôle est parfois positif, mais l’on retient essentiellement son conflit permanent avec son demi-frère. La raison est floue, mais elle pourrait détester son frère à cause des chevaliers de la table ronde qui l’auraient rejetée en termes sentimentaux. Elle cherche alors la mort de tous les personnages principaux de la légende, de Genièvre à Gauvain. Morgane utilise ses pouvoirs à des fins maléfiques, mais elle possède également des pouvoirs de guérisseuse. Son fils (ou neveu selon les texte) est Mordred, qu’elle a eu d’une relation incestueuse avec Arthur.
Grimhild
Grimhild est une sorcière apparaissant des les mythes nordiques. Cette magnifique reine, épouse du roi Gjuki, voulait absolument que le héros Siegfried épouse sa fille, Gudrun. Malheureusement, il était marié : elle lui fit donc boire une potion magique pour qu’il oublie son épouse. La sorcière ne s’arrêta pas là car elle fit tout ce qui était en son pouvoir pour que Gunnarr, son fils, se marie avec l’ex-épouse de Siegfried, Brunhild. Finalement, Brunhild, apprenant la traitrise (contrainte par la magie) de Siegfried, le tua et se donna aussi la mort. Finalement, Grimhild mourut, consumée par ses pouvoirs.
La Banshee
La banshee est une créature fantastique de la mythologie celtique d’apparence féminine et considérée comme une messagère de la mort. Elle est une sorcière démoniaque qui a la particularité de se mettre à hurler lorsque quelqu’un est sur le point de mourir. Elles sont d’une grande beauté, peuvent se métamorphoser et infliger autant de bénédictions qu’elles peuvent lâcher d’épidémies sur leurs cibles.
Baba Yaga
Baba Yaga est un personnage provenant des légendes russes et plus généralement du folklore slave. Présente dans toute l’Europe centrale sous différents noms, cette sorcière est connue pour se repaître de la chair des enfants. Son originalité est son moyen de transport : un mortier géant qu’elle dirige avec un pilon géant. Sa maison aussi est magique : montée sur des pattes de poules, Baba Yaga pouvait la lancer à la poursuite de ses victimes. Plusieurs enfants lui échappèrent par des stratagèmes et c’est à la suite de l’évasion de Vassilissa que Baba Yaga fut changée en corbeau et perdit ses pouvoirs. Selon certaines légendes, la sorcière pouvait exaucer des vœux si des roses lui étaient offertes, mais il fallait tout de même rester sur ses gardes !

Okuninushi
Le kami japonais Okuninushi est autant le créateur de l’agriculture et de la médecine que de la sorcellerie.
… et dans la culture populaire
La fée Carabosse
La fée malfaisante Carabosse est un personnage apparaissant dans Les Contes de Ma Mère l’Oye, un recueil de contes de Charles Perrault. Cette sorcière correspond au stéréotype listé plus haut : vieille, laide, très méchante et même bossue. Carabosse est mis en opposition avec les bonnes fées (les marraines) et est ainsi à l’origine de la malédiction qui touche la princesse dans La Belle au Bois Dormant. Son histoire la rapproche de la déesse grecque de la discorde, Eris.
La sorcière d’Hansel et Gretel

Ce personnage provient du conte Hansel et Gretel que l’on retrouve dans le recueil des Frères Grim, Kinder- und Hausmärchen. L’histoire raconte comment les frères et sœurs Hansel et Gretel se retrouvent perdus dans la forêt après que leurs parents les aient abandonnés, n’ayant plus de quoi les nourrir. Les deux enfants trouvent une maison de pain d’épice et exclusivement constituée de friandises. A l’intérieur, une sorcière les accueille et leur prépare un festin. Elle révèle assez rapidement ses intentions : manger les deux enfants une fois qu’ils seront bien engraissés. Elle enferme Hansel dans une cage et oblige Gretel à cuisiner pour le faire grossir. Le jour où le garçon doit être mangé, Gretel pousse la sorcière dans le four et les enfants s’enfuient en ayant pris soin de voler les joyaux de la vieille sorcière.
Jadis, La sorcière blanche
La sorcière blanche est un personnage apparaissant dans le deuxième tome de la saga Le Monde de Narnia de C. S. Lewis. Cette magicienne millénaire, purement maléfique et toute puissante s’est autoproclamée reine de Narnia et règne depuis 100 ans lorsque les quatre héros traversent l’armoire magique. Si elle peut manipuler les forces de la glace par enchantement, d’où son nom, elle possède également des pouvoirs qui dépassent l’entendement : dans son précédent monde, elle aurait tué tous les êtres vivants d’un seul coup en prononçant un seul mot. Jadis mourut lors de la bataille de Beruna, tuée par le lion Aslan. Symboliquement, nous pouvons voir que c’est Jésus (Aslan) qui tue Satan (Jadis), l’origine de tout le mal sur Terre (Narnia).
Karaba la sorcière
La sorcière Karaba est un personnage apparaissant dans le long-métrage d’animation franco-belgo-luxembourgeois Kirikou et la Sorcière de 1998. Le film raconte comment le très jeune et minuscule Kirikou va se servir de son intelligence pour défaire la tyrannique sorcière Karaba qui utilise sa sorcellerie et ses fétiches pour asseoir son autorité. En réalité, Karaba est une ancienne victime d’une agression de la part d’un groupe d’hommes. Ils lui auraient planté une épine dans le dos qui la ferait beaucoup souffrir mais lui confierait aussi ses pouvoirs. C’est la raison pour laquelle elle transforme tous les hommes du village en fétiches. A la fin, Kirikou lui retire l’épine et ainsi répare le mal causé. C’est une allégorie : Karaba est traumatisée par un viol collectif et Kirikou l’aide à se remettre de cette épreuve. Il devient ainsi un homme, dans le sens le plus positif du terme.
De Sabrina l’apprenti Sorcière à Hermione Granger
Avec le temps, l’image de la sorcière s’est transformée au point de rendre ces personnages positifs. Elle n’est plus laide et vieille, mais jeune, jolie et souhaitant la paix avec les humains. Parfois, elle cherche à s’intégrer, comme Samantha de Ma sorcière bien aimée ou Sabrina l’apprenti sorcière. Il y a aussi les sorciers et sorcières qui vivent en autarcie, à l’écart du monde des non-magiciens et ne cherchant pas à leur faire de mal. Parmi eux, nous pouvons citer l’ensemble des élèves de Poudlard, dont la très futée Hermione Granger, mais aussi Akko Kagari de Little Witch Academia (et bien d’autres) ou encore Wanda, la sorcière rouge, de Marvel. La culture populaire, comme elle l’a fait pour les vampires et autres monstres autrefois horrifiques et sataniques, tend à rendre toutes les créatures bienfaisantes et à faire vivre le monde entier en harmonie. Une vision très moldue des choses…

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